Résumé.
Le mentir, comme intention de tromper et de nuire à autrui, est un acte que Montaigne condamne dans de nombreux passages des Essais. Telle profession de « bonne foi », parsemée çà et là tout au long de son œuvre, nous a semblé problématique au cours de nos lectures du chapitre qui concerne plus directement nos recherches, à savoir, « Des Cannibales ». En ce qui concerne le phénomène du Nouveau Monde, si d’une part Montaigne affirme se contenter des informations qu’il obtient de gens « simples » n’ayant rien « espousé », refusant dès lors de s’« enquerir de ce que les cosmographes en disent », d’autre part, force est de constater qu’au cours de sa rédaction il se serait fort inspiré des écrits de Benzoni, Jean de Léry et André Thevet. De plus, la pertinence historique de l’entretien qu’il soutient avoir eu avec des Indiens du Nouveau Monde à Rouen a été maintes fois remise en cause par divers commentateurs. Enfin, tout au long de ce chapitre, Montaigne nous dépeint un Sauvage aux allures fort hellénistiques, et porteur d’un discours dont la teneur critique ressemble à s’y méprendre aux propos de La Boétie. Ainsi, en quelle mesure pourrait-on justifier la coexistence, à première vue paradoxale, au sein d’un même chapitre d’une exigence avouée d’honnêteté intellectuelle et d’un contenu parsemé de demi-vérités, voire de mensonges ? Notre hypothèse est que le "mentir vrai", le "mentir prudentiel" et le "mentir pédagogique" sont des modalités générales du mensonge qui, dans le chapitre « Des Cannibales », présentent des fonctions et des usages spécifiques aux enjeux de ce texte, et qui lui appartiennent singulièrement. Ainsi, par le biais d’une lecture primordialement intertextuelle, nous nous proposons de déceler ces trois modalités de mensonge, ainsi que leurs fonctions et leurs usages dans le texte. Notre objectif étant de montrer que le "mentir vrai" permet à Montaigne de penser, le "mentir prudentiel" d’exprimer sa pensée, et le "mentir pédagogique" de rendre sa pensée effective.